Hervé Théry utilise la cartographie pour décrypter la crise du Covid 19 au Brésil
Le travail d’analyse des géographes s’avère fort utile pour comprendre la portée de la crise sanitaire du coronavirus/covid 19. Il offre une opportunité de combler les lacunes des statistiques officielles (souvent sous-estimées) et de s’intéresser aux multiples facteurs susceptibles de favoriser la contagion dans le monde. Hervé Théry, professeur de géographie à l’université de São Paulo et spécialiste du Brésil, apporte sa pierre à l’édifice. Dans un article publié récemment sur un blog de l’Institut des Amériques et intitulé « Covid 19 au Brésil : aggravants, scénarios et risques », Hervé Théry s’appuie sur la cartographie – via notre logiciel Cartes & Données – pour apporter un nouvel éclairage sur l’épidémie de coronavirus au Brésil. La mise en relief de certaines caractéristiques socio-démographiques fait craindre un bilan humain beaucoup plus lourd au pays de Jair Bolsonaro.
Sommaire :
1. Contexte
2. Méthodologie
3. Interprétations
1. Contexte
Partie de la ville chinoise de Wuhan (région d’Hubei) à la fin de l’année 2019, l’épidémie de coronavirus/covid 19 s’est répandue comme une traînée de poudre à l’ensemble des continents (Asie, Moyen-Orient, Europe, Océanie, Amérique et Afrique…) en l’espace de quelques semaines seulement. Selon les chiffres publiés par le Johns Hopkins CSSE (basé aux États-Unis), cette épidémie a provoqué plus de 315 283 décès à travers le monde, entraînant la contamination d’environ 4,7 millions de personnes (bilan provisoire à la date du 18 mai 2020).
L’Europe a été durement frappée à compter de fin février, en particulier l’Italie (qui entretient des relations économiques étroites avec la Chine, ce qui peut expliquer l’ampleur de la catastrophe), l’Espagne, la France et maintenant la Grande-Bretagne (dont le nombre total de décès dépasse celui de l’Espagne). Cette épidémie a pris de court ces différents États, mettant en exergue leur impréparation stratégique dans cette épreuve (manque de masques, de tests virologiques, de lits de réanimation…). Cette épidémie les a contraints à prendre des mesures d’urgence sanitaire, en confinant notamment leur population : d’une part, pour limiter drastiquement le nombre de victimes et, d’autre part, pour tenter d’enrayer la propagation du virus.
Longtemps situé en Europe, le centre épidémique de ce que l’OMS a rapidement nommé pandémie, s’est déplacé en Amérique du Nord, et en particulier aux États-Unis (près de 90 000 morts) et au Canada. L’Amérique centrale puis l’Amérique du Sud sont désormais victimes du coronavirus, tout comme l’Afrique. Le Brésil a été touché par le virus Covid 19 à compter de la mi-mars 2020. À la date du 18 mai 2020, le bilan est déjà de 241 080 cas confirmés et 16 118 décès [1]. Le virus est particulièrement actif dans le Sudeste et le Nordeste. C’est dans ce contexte qu’intervient l’étude d’Hervé Théry.
2. Méthodologie
Hervé Théry a utilisé le module cartogramme du logiciel Cartes & Données afin de réaliser plusieurs cartes en anamorphose, qui éclairent la crise sanitaire au Brésil et les risques d’aggravation de cette épidémie. Une carte en anamorphose a l’intérêt de donner aux zones géographiques leur véritable importance visuelle en fonction de certaines données (socio-démographiques, économiques ou encore politiques).
Par exemple, la carte n°1 montre clairement le poids démographique de certains États du Brésil : ceux de São Paulo et de Rio de Janeiro (Sudeste), ou encore ceux de Ceará et de Pernambuco (Nordeste). Le fort peuplement explique que le coronavirus ait circulé facilement dans ces deux zones, entraînant logiquement une contagion et donc une mortalité plus importantes. L’exception concerne Amazonas, État peu peuplé, où le bilan humain de la crise sanitaire est assez élevé comparativement à son poids démographique. Cela peut s’expliquer par l’existence d’échanges économiques intenses entre sa capitale Manaus, et des entreprises asiatiques qui y sont implantées. Ce qui a eu pour effet de faciliter la propagation du coronavirus dans cet État.
La comparaison de cartes en anamorphose permet de dresser des similitudes propices à l’analyse pertinence d’une situation. Ainsi, la carte n°2 montre une grande ressemblance entre l’anamorphose de la carte des décès et celle de la présence de la communauté religieuse des evangélicos (les protestants pentecôtistes brésiliens). Ce qui établit un rapport étroit entre confession religieuse et diffusion du coronavirus.
De la dernière carte (n°3) réalisée par Hervé Théry, il est possible de tirer deux enseignements importants :
1) les populations les plus pauvres du Brésil, qui touchent moins d’un demi-salaire minimum, c’est-à-dire moins de 80 €, sont localisées dans les régions du Nordeste (États de Bahia, Maranhão, Ceará, Pernambuco) et du Sudeste (Minas Gerais).
2) les personnes ayant déclaré au dernier recensement de 2010 être de religion evangelica sont les plus nombreux dans le Sudeste, et plus particulièrement à São Paulo. Mais ils sont majoritaires en proportion dans le Norte (États d’Amazonas et de Pará).
3. Interprétations
À la lumière des informations présentes dans les cartes d’Hervé Théry, deux facteurs principaux – expliquant la propagation du coronavirus et susceptibles d’aggraver davantage la situation sanitaire au Brésil – se dégagent :
1) la pauvreté, et plus généralement les conditions sociales difficiles dans certaines zones géographiques (comme les favelas). Il s’agit la plupart du temps de populations habituellement « invisibles » (pour paraphraser Hervé Théry), qui vivent dans l’informalité et dont le rapport à l’État est très dégradé (notamment dans l’accès aux soins en milieu hospitalier).
2) l’influence de la communauté evangelica qui, à l’instar du président Jair Bolsonaro (l’un de ses membres) se pense immunisée contre le coronavirus grâce à une protection divine. Cette communauté continue de pratiquer ses cultes à l’heure actuelle et nie l’impact sanitaire de cette crise (reléguant au second plan les mesures de confinement, de distanciation sociale et les gestes barrières…)
Hervé Théry conclut son article en rappelant que les désaccords récurrents entre le président Bolsonaro et les gouverneurs des États au sujet des mesures à prendre dans pareille situation (nécessité et durée du confinement) risque d’aggraver cette crise sanitaire, obligeant les citoyens brésiliens à faire preuve d’initiative individuelle et/ou collective. À défaut d’une prise de conscience de la part de l’exécutif, la résilience de la population brésilienne sera mise à rude épreuve dans les semaines à venir. Le pays, qui est l’un des plus peuplés du monde, pourrait en effet devenir le nouvel épicentre de l’épidémie de coronavirus/covid 19.