Emmanuel Vigneron
Emmanuel Vigneron : « La réduction des inégalités territoriales passe par la refonte de notre système de santé »
Compagnon de route de la société Articque depuis ses origines (au même titre qu’Hervé Théry), Emmanuel Vigneron est professeur agrégé de géographie à l’université Montpellier III, où il a côtoyé Roger Brunet, Robert Ferras, Jean-Paul Volle et les quantitativistes de la Maison de la Géographie. Spécialiste de la géographie de la santé et des problématiques de territorialisation (au sein de la DATAR notamment), Emmanuel Vigneron a placé la notion de démocratie sanitaire au cœur de sa réflexion. Il est un observateur attentif des inégalités territoriales de santé et un acteur engagé dans la crise sanitaire qui impacte le monde entier et la France.
Les questions posées à Emmanuel Vigneron, géographe de la santé :
1. Quel est l’apport de la géographie dans la crise sanitaire du coronavirus/covid 19 ?
2. Du fait des inégalités territoriales, la santé n’est-elle pas un domaine d’étude privilégié pour les géographes ?
3. Comment agir efficacement contre les inégalités territoriales dans le secteur de la santé ?
1. Quel est l’apport de la géographie dans la crise sanitaire du coronavirus/covid 19 ?
Emmanuel Vigneron : « La géographie, et plus spécifiquement la géographie humaine, n’a d’intérêt que si elle a une utilité sociale. Elle demeure plus que jamais un puissant outil de compréhension du réel. Dans cette optique, la cartographie révèle des inégalités, des discontinuités, des ruptures, des aires avec des configurations inhabituelles. Et ces inégalités en matière de santé, qui sont révélées par l’approche géographique, méritent d’être mieux prises en compte. On le voit clairement avec la campagne de vaccination actuelle : il importe de localiser précisément aux échelles adaptées les phénomènes dont on parle pour mieux agir sur eux. Pour paraphraser Albert Camus qui écrivait que ‘mal nommer les choses c’est ajouter au malheur du monde’, je dirai que mal les localiser ce n’est pas y remédier. Bien localiser les choses, c’est déjà en partie les résoudre en les circonscrivant. »
2. Du fait des inégalités territoriales, la santé n’est-elle pas un domaine d’étude privilégié pour les géographes ?
Emmanuel Vigneron : « Tout à fait. Le secteur de la santé étant porteur d’inégalités, la santé est donc un domaine de choix pour la géographie. Comme d’ailleurs la géographie est un domaine de choix pour la santé. Le système de santé est pensé de manière trop verticale car garanti par l’État au titre de la Constitution, ce qui, en soi, est heureux. Mais du coup, pendant longtemps, les différences territoriales dans le secteur de la santé et des soins n’ont pas été prises en compte. Les travaux de cartographie, notamment ceux que j’ai entrepris au sein de la DATAR dans les années 1997-2004, ont conduit à la territorialisation des politiques publiques. Je n’étais pas le seul. De la même façon, la DATAR a poussé à la territorialisation des politiques publiques dans de nombreux autres domaines. Il est essentiel de parler de territoires en matière de santé et j’y ai contribué, ainsi que certains autres. Cela a été rendu possible car, d’une part, je suis géographe et que, d’autre part, il existe des outils cartographiques simples d’utilisation comme Cartes & Données, qui permet de créer des cartes rapidement. »
Intervention d’Emmanuel Vigneron lors de l’édition 2020 du Festival International de Géographie de Saint-Dié – Sujet de la conférence « Épidémie de Covid 19 : une pandémie sous l’œil des géographes ».
3. Comment agir efficacement sur les inégalités territoriales dans le secteur de la santé ?
Emmanuel Vigneron : « La réduction de ces inégalités territoriales est parvenue à un tel point de non-retour qu’il faut refonder notre système de santé et en premier lieu renégocier le pacte républicain sur la santé. Cela passe par la tenue d’états généraux de la santé qui doivent être confiés aux élus de la République et non aux Agences Régionales de Santé (ARS). Les analyses cartographiques sont susceptibles de nourrir la réflexion collective. À l’image des états généraux du printemps 1789, il y a besoin de mettre sur la table des documents qui persuaderont les citoyens que l’action est possible, que la santé ne se limite pas aux soins. Il existe en effet un grand nombre de thématiques, comme l’éducation à la santé, qui mériteraient d’être repensées intégralement.
Certes, notre système de santé reste l’un des meilleurs au monde mais il est très malmené aujourd’hui. Le débat sur la santé est confisqué alors qu’il s’agit d’un débat citoyen. Selon le préambule 46 de la Constitution, ce n’est pas au gouvernement d’assurer la santé des citoyens mais à la Nation. Or, la Nation, ce n’est pas le gouvernement. Au mieux, on peut y inclure le Congrès, c’est-à-dire les représentants du Peuple. Mais lorsque l’on parle de la Nation, c’est nous tous réunis. C’est la vraie définition. Rien ne doit rester exclusivement aux mains des experts ni d’un pouvoir central toujours menacé d’un retour à l’Ancien Régime, sinon la vérité est synonyme de catastrophe. »
Biographie d’Emmanuel Vigneron
Professeur d’aménagement sanitaire à l’Université de Montpellier, agrégé de géographie et docteur en histoire et en géographie, HDR, il a été Directeur Scientifique du Groupe de Prospective Santé et Territoires de la DATAR, (1998-2003), Conseiller Scientifique du même organisme et membre du Haut Conseil de la Santé Publique. À partir de 2001, il a fondé et animé le groupe Santé des auditeurs de l’Institut des Hautes Études de l’Aménagement et du Développement Durable des Territoires (IHEDATE). Conseiller scientifique de plusieurs associations nationales d’élus locaux, Emmanuel Vigneron participe aux comités de nombreuses revues scientifiques et intervient à la demande des élus locaux dans les territoires. Il est membre du CESER Occitanie comme personnalité qualifiée extérieure.
Depuis le début des années 1990, il a écrit plus d’une trentaine d’ouvrages sur la Santé et les Territoires. Il est Chevalier de l’Ordre national du mérite et chevalier du mérite agricole. Il a consacré sa carrière professionnelle à l’approche territoriale de l’organisation du système de santé, des inégalités de santé ainsi que des autres services publics. En 2013 et 2014, il a participé à la mission sur les juridictions du XXIè siècle au ministère de la Justice. Il a dirigé entre 2015 et 2018 une mission qui lui a été confiée par la DGOS du ministère de la Santé sur l’impact territorial des recompositions et coopérations hospitalières entreprises en France depuis trente ans ainsi que d’évaluation des GHT.
Il est l’auteur de nombreux ouvrages, parmi lesquels, sur les questions de santé :
– Hommes et Santé en Polynésie française, essai de Géographie Humaine. Paris, CNRS, 1999 – Col. Mémoires et Documents
– Géographie et Statistique, Paris PUF, 1997 QSJ? n°3177
– Une typologie des paysages socio sanitaires en France (avec V. Lucas et F. Tonnellier), Paris, CREDES 1998
– Géographie de la Santé en France, Paris, PUF, 1999, QSJ? N° 3435 (en col. avec F. Tonnellier)
– Distance et Santé La question de la proximité des soins, Paris PUF (septembre 2001)
– Pour une approche territoriale de la santé, (dir.) Paris, DATAR/Aube, Bibliothèque des Territoires. Préface de Claude Evin, 2003 – 287 p.
– Santé et Territoires : une nouvelle donne, (dir.) Paris, DATAR/Aube, Bibliothèque des Territoires. Préface de Jacques Barrot, 2003 – 239 p.
– Les coopérations interrégionales des CHU, février 2007 (S. Haas, E. Vigneron (codir))
– Les Territoires de l’hôpital, (dir.) Paris, DATAR, 2005
– Évaluation et territoires, DATAR/DIACT – La Documentation française, coll. Travaux, Paris, juin 2007 (S. Haas, E. Vigneron (codir))
– Les Villes Moyennes et la Santé, Éléments pour une Stratégie Territoriale de l’Offre, Septembre 2007 – Caisse des Dépôts et Consignations, Fédération des Maires des Villes Moyennes Paris, La Documentation Française janvier 2008 (S. Haas, E. Vigneron (codir))
– Dix ans de recomposition hospitalière en France, Dexia – Le Moniteur, oct. 2009 (S. Haas, E. Vigneron (codir))
– Solidarités et Territoires, Atlas santé social de la France, FEHAP/ Territorial Editions, 2010
– Les inégalités de santé dans les territoires français. État des lieux et voies de progrès, Paris, Elsevier/Masson, 2011
– Les services à domicile médico-sociaux et sanitaires, Paris, FEHAP, décembre 2011. Collection de 26 guides régionaux. 26*132 p. (réédition en 2013, avec Sandrine Haas)
– Les Centres de Santé. Une géographie rétro-prospective, Paris, FEHAP, 2014, 248 p.
– Évaluation de l’Impact des Recompositions et des Coopérations Hospitalières (IRCH) Programme 2015-2017. Rapports successifs du groupe de travail I, mars 2015, 27+21p. ; II, aout 2015,283p. ; III, décembre 2015 322p. ; IV et final de synthèse, février 2017 ,30+41+25p. Paris, Ministère chargé de la Santé, DGOS
– L’Hôpital et le Territoire, Paris Techniques Hospitalières/FHF, 2017. 298 p.
– Les GHT : pour aller plus loin dans les coopérations hospitalières, Paris, Berger-Levrault, sept. 2018. (en coll. avec Cl. Esper, J. Bringer et J.M. Budet)
– La Santé en France au XXIe siècle – À l’épreuve des crises, Paris, Berger-Levrault, 420 p. octobre 2020
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Mathieu Boisseau
Après une expérience passionnante chez Digitaleo (Rennes), j’ai rejoint Articque afin de créer des contenus dédiés à la cartographie statistique et au géomarketing.
DR